Tribune publiée sur Focus RH
Après 3 ans de turbulences qui ont vu la réapparition des épidémies, la rupture des chaines d’approvisionnement et ses impacts sur la mondialisation du commerce, la poussée de l’inflation alimentée en grande partie par l’argent magique des banques centrales et la crise énergétique, le monde économique a profondément changé.
Parmi les premiers acteurs économiques concernés, figurent les département RH et leurs directions qui naviguent avec incertitude pour attirer et fidéliser les talents et organiser la transmission des savoirs. Conscience environnementale, recherche de sens, rétention des talents, les défis RH sont considérables pour les entreprises en 2023.
The Great resignation
Ce phénomène a été très marqué aux États-Unis où plus de 20 millions de salariés ont quitté leur emploi au premier semestre 2022. Il est alimenté par plusieurs facteurs : des démissions qui se sont produites à posteriori en raison de la crise sanitaire, d’autres pour des raisons de burnout. Il y a aussi des collaborateurs qui ne souhaitaient pas revenir au bureau après des mois de télétravail, d’autres qui se reconvertissent ou certains qui ont fait des placements boursiers qui leur ont permis d’arrêter momentanément de travailler. En Europe, le phénomène est moins marqué, notamment en France et en Belgique, où environ 2 % des salariés ont démissionné selon une étude SD Worx. Les chiffres sont plus élevés en Allemagne et au Royaume Uni avec respectivement 4,7 % et 6 % de démissions. Toutefois, on observe déjà aux États-Unis un retour à l’emploi assez rapide des « démissionnaires », après quelques mois, sous l’effet notamment de l’inflation et aussi d’un patrimoine boursier en baisse. Au global, le marché du travail Européen reste stable avec une rotation maitrisée.
Difficultés de recrutement
Les difficultés persistent, mais elles se concentrent souvent sur quelques secteurs d’activité, comme la santé, les transports, la restauration, l’éducation, ou certains métiers informatiques. La faiblesse des rémunérations est souvent une des causes de la difficulté à recruter, notamment dans la restauration et la santé. Les personnels soignants sont les grands sacrifiés de ces dernières années, sous l’effet de réformes qui ont été de profonds échecs : bureaucratisation excessive, médecine de ville délaissée, management contrôlé par des personnels administratifs. La restauration impose des conditions de travail dures. Ces métiers doivent être revalorisés, avec une rémunération plus attractive, mais aussi une politique RH qui privilégie l’autonomie, la prise d’initiative, la décentralisation des décisions et la transmission des savoirs. D’autres pénuries persistent dans le personnel qualifié et notamment les cadres dans le numérique. L’enjeu ici pour inverser la tendance sur ces populations, réside dans la montée en compétence avec des formations adaptées à ces nouveaux enjeux et de la souplesse pour attirer des talents étrangers.
Le travail hybride
C’est une réalité qui s’est généralisée pour tous les collaborateurs, hormis ceux qui sont en première et deuxième ligne. Avant la pandémie, le télétravail était un avantage accordé à une minorité, aujourd’hui, la plupart des employés travaillent plusieurs jours par semaine à domicile. Cette tendance va persister, comme le montrent toutes les études que nous avons analysées en Europe, aux États-Unis ou en Asie, mais ce télétravail nécessite d’être équilibré car il est source de « zoom » fatigue. Par ailleurs, les réunions virtuelles ne génèrent pas toujours des collaborations aussi créatives et fructueuses que les réunions présentielles, une autre analyse que nous avons menée au cours de cette année 2022 très inspirante ! Face à cette réalité qui a changé le paysage du travail et qui a installé le télétravail de manière structurelle, quelles sont les implications à plus long terme sur le bien être des salariés ? Quel impact sur cette culture d’entreprise si essentielle pour rassembler les collaborateurs autour de valeurs partagées et pour une meilleure cohésion au sein des organisations. Ces questions sont clé pour les départements RH et elles doivent s’en emparer au risque de ne plus contrôler réellement leurs organisations.
Une organisation « customer centric » & « employee centric »
La plupart des concepts et méthodes RH ont un lien avec le marketing, C’est ce que nous avons pu observer depuis quelques années ; certains d’entre nous ayant passé une partie de leur vie dans le CRM et le marketing digital. On y parle d’acquisition de talents, comme d’acquisition de clients pour les techniques de recrutement. On évoque la gestion et la rétention des talents, avec un processus de cycle de vie de l’employé, comme du client qu’il faut valoriser et fidéliser. On étudie le potentiel des clients et leurs attentes spécifiques pour leur proposer de nouvelles offres très personnalisées, c’est aussi le cas pour les collaborateurs dont il faut identifier les aspirations et les souhaits d’évolution, tout en tenant compte de leur compétences, courbes d’apprentissage et marges de progression. Enfin, dans ce cycle de vie, on doit aussi anticiper les départs des clients et des collaborateurs, en essayant de les limiter ou lorsqu’ils apparaissent inévitables en les gérant au mieux en les accompagnant d’attention. Un départ n’est jamais définitif, il y a de multiples occasions de se revoir à nouveau. La relation d’une entreprise avec ses collaborateurs doit donc être au même niveau que la qualité des relations entre cette entreprise et ses clients, si nous voulons renforcer l’engagement des collaborateurs.
Des compétences RSE au cœur de la fonction
Cela exige que la politique RSE irrigue à la fois les clients et les collaborateurs de plus en plus sensibles aux valeurs sociales et environnementales. Cette politique RSE doit donner l’exemple dès le sommet de l’entreprise, la récente initiative du patronat français de lier le climat à la rémunération des dirigeants d’entreprise dans son code de gouvernance a comme ambition de placer la RSE au cœur des missions du conseil d’administration. La fonction RH a un rôle prépondérant à jouer dans le développement d’une démarche RSE, avec une politique de recrutement équitable, en luttant contre les discriminations, avec le développement du télétravail, en préservant l’équilibre vie privée et vie professionnelle et avec l’amélioration de la qualité de vie au travail, en réduisant les risques d’accidents, de stress et de maladies professionnelles. Enfin, une politique de formation face au défi climatique est aussi une des réponses pour rendre plus accessibles et compréhensibles ces enjeux climatiques. La RSE n’est pas un sujet spécifique mais doit irriguer tous les départements concernés de l’entreprise, avec pour les RH une déclinaison dans les univers suivants : marque employeur, culture d’entreprise, formation, management, diversité, QVT, travail hybride… Enfin, la RSE nécessite aussi une veille permanente sur les pratiques de ses fournisseurs, clients et concurrents pour mieux communiquer avec ses équipes.
Bien évidemment, face à tous ces défis, il y a aussi la politique de rémunération à l’heure du retour de l’inflation. Cette politique pousse en faveur d’une indexation des salaires sur l’inflation pour répondre aux attentes justifiées du maintien du pouvoir d’achat. Elles seront satisfaites si les entreprises peuvent répercuter la hausse des matières premières et des salaires sur les prix de leurs produits. C’est le cas notamment du luxe, mais pas de tous les secteurs d’activité dont certains ont une intensité concurrentielle plus forte, des marges plus faibles, sans oublier que des prix plus élevés impactent aussi le pouvoir d’achat des consommateurs. La politique de rémunération, c’est aussi d’autres avantages au-delà du salaire (épargne entreprises, forfait mobilité, prise en charge des frais de crèche…), mais celle-ci est aussi dépendante de la rentabilité d’une entreprise qu’on doit aussi prendre en compte.
Alors en 2023, bonne chance à tous les personnels RH engagés dans tous ces défis, à l’heure où la croissance sera faiblement positive avant un retour « plus normal » en 2024.
Pierre Maurin – Senior Partner
https://www.focusrh.com/tribunes/impressions-rh-2023-par-pierre-maurin-34954.html